Le décalage dans les informations ESG entre ce que les investisseurs demandent et ce que les entreprises fournissent est bien établi. L’évolution rapide des rapports sur le développement durable témoigne des efforts déployés pour tenter de combler ce fossé. Ces efforts sont contrecarrés par l’évolution tout aussi rapide des besoins des parties prenantes, en particulier des investisseurs et, de plus en plus, des bailleurs de fonds au sens large, en données ESG plus quantitatives, plus granulaires, plus pertinentes et plus utiles à la prise de décision.
Ce décalage dans les informations s’explique notamment par le fait que la reddition de comptes sur la durabilité des entreprises a traditionnellement existé en dehors des fonctions traditionnelles de production de rapports et de divulgation. En conséquence, elle est restée à l’écart des processus rigoureux et bien établis de collecte, de validation et d’obligation de rendre compte qui ont profité aux divulgations et aux rapports financiers. Les documents traditionnels sur la responsabilité sociale des entreprises s’apparentent davantage à la communication qu’à la reddition de comptes.
Soyons clairs, la communication est essentielle à toutes les organisations. Elles doivent transmettre des informations en tous genres à de nombreuses parties prenantes et à des fins différentes. Dans le contexte des marchés de capitaux, la communication est l’élément vital qui garantit que le capital est réparti de manière appropriée : comme prévu, sur la base de toutes les informations pertinentes et au bon prix ou, plus précisément, au bon rapport risque-rendement. Dans ce contexte, les informations doivent être utiles à la prise de décision, c’est-à-dire qu’elles doivent porter sur des questions importantes pour l’entreprise, être cohérentes dans le temps, comparables entre pairs, objectives dans leur ton et leur contenu, facilement compréhensibles, fiables parce qu’elles ont fait l’objet d’un audit externe et opportunes par rapport à la période sur laquelle elles portent. Ce type de communication doit être encadré et contrôlé; c’est ce que l’on appelle la publication d’information.
Il est donc compréhensible que les demandes croissantes d’informations sur le développement durable conduisent à des demandes de rapports plus nombreux et de meilleure qualité. Par exemple, l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a récemment déclaré qu’elle « voit un besoin urgent d’améliorer la cohérence, la comparabilité et la fiabilité de la publication d’information sur le développement durable ».
En quoi la reddition de comptes est-elle différente?
La reddition de comptes est un mécanisme de reddition de compte et une composante essentielle du processus de gestion de la planification, de l’organisation, de la direction et du contrôle. Elle se distingue des autres formes de communication d’entreprise par les caractéristiques suivantes :
- Obligatoire : en tant que mécanisme d’obligation de rendre compte à l’égard des engagements et des mesures
- Normalisée : plus uniforme, plus cohérente dans le temps et entre les organisations
- Réglementée : prescrite et contrôlée par une autorité indépendante
- Programmée : récurrente à intervalles précis
- Quantitative : de nature, au moins dans une certaine mesure
- Validée : par audit interne et externe
La reddition de comptes peut être considérée comme un sous-ensemble plus étroit et plus spécifique de la communication
Pourquoi est-ce important?
Le changement de paradigme vers l’intégration de la durabilité, qui balaie actuellement les marchés des capitaux et le monde des affaires, alimente certainement la demande croissante d’informations ESG plus nombreuses et de meilleure qualité. Mais comme nous venons de le voir, il ne s’agit pas de n’importe quelles informations ni d’informations communiquées au hasard. En effet, pour être largement diffusées, les informations doivent être obligatoires; pour être comparables, elles doivent être normalisées; et pour être fiables, elles doivent faire l’objet d’une vérification ou d’un audit externe. Nous ajouterons également que, pour faciliter tout cela, elles doivent aussi être numérisées.
C’est exactement ce que nous voyons se produire à l’échelle mondiale.
Par exemple, nombreux sont ceux qui suivent de près la Commission européenne, qui a publié en début d’année sa proposition modifiant les exigences de publication d’information de sa directive sur la publication d’informations non financières dans le cadre d’une nouvelle directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD). Cette nouvelle directive impose essentiellement aux sociétés ouvertes et fermées de publier des informations sur le développement durable, produites conformément aux normes européennes obligatoires en la matière (en cours d’élaboration), soumises à un audit externe, préparées dans le format XHTML et étiquetées selon un système de catégorisation numérique qui serait élaboré en même temps que les nouvelles normes de publication d’information sur le développement durable.
Aux États-Unis, il a été difficile de suivre le rythme des changements depuis l’entrée en fonction de l’administration Biden. Une série de décrets-lois et de déclarations publiques émanant de hauts responsables, dont le secrétaire au Trésor américain et le président de la SEC, ont appelé à la publication obligatoire et normalisée d’informations sur le climat et d’autres facteurs ESG. La SEC a indiqué son inclination à mener la création d’un système efficace de divulgation d’informations ESG et a lancé une consultation publique sur les divulgations actuelles relatives au changement climatique. À plus petite échelle, la Climate Corporate Accountability Act de la Californie est tout aussi digne de mention. Si elle est adoptée dans le courant de l’année, elle obligera toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires total est supérieur à un milliard de dollars et qui exercent des activités en Californie à fournir des rapports vérifiés sur leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2024, conformément à une norme de reddition de comptes sur le climat établie au niveau de l’État, sur une nouvelle plateforme numérique.
Les travaux préparatoires de la Fondation des normes internationales d’information financière (IFRS) en vue de la création d’un conseil international des normes d’information sur le développement durable sont peut-être les plus importants, compte tenu de leur portée mondiale. Ces démarches ont été soutenues très publiquement et avec enthousiasme par l’OICV. En adoptant une approche modulaire, la Fondation des IFRS prévoit de publier des normes qui fournissent une base de référence cohérente et comparable au niveau mondial pour la reddition de comptes sur le développement durable, tout en offrant une certaine souplesse pour la coordination des exigences relatives à la publication d’information qui rendent compte des répercussions plus vastes sur la durabilité. Dans leur réaction au document de consultation relatif à la publication d’information sur le développement durable, les administrateurs de la Fondation IFRS ont suggéré qu’il sera important pour le nouveau conseil d’envisager une stratégie numérique dès le début de l’élaboration de ses normes, y compris l’établissement d’une taxonomie pour les normes IFRS sur le développement durable, comparable au travail effectué sur la taxonomie des informations financières IFRS.
Mais la publication d’information ne concerne que les grandes sociétés ouvertes, n’est-ce pas?
Compte tenu de l’attention portée à tout ce qui touche les facteurs ESG ces derniers temps, on peut se demander si toutes les informations relatives à la durabilité ne devraient pas être réglementées, normalisées, vérifiées et numérisées. Bien entendu, cela n’est ni souhaitable ni pratique. Comme nous l’avons mentionné, les besoins en communication sont vastes et diversifiés, et ses canaux doivent l’être aussi. Mais il va de soi que ces caractéristiques resteront des qualificatifs importants pour distinguer la reddition de comptes de la communication.
De même, on peut se demander si la reddition de comptes sur la durabilité ne devrait pas s’appliquer non seulement aux sociétés cotées en bourse, mais aussi aux sociétés fermées. Et pas seulement aux grandes entreprises, mais aussi aux petites et moyennes entreprises. Nous estimons que ce sera probablement le cas, pour deux raisons principales. Premièrement, la demande d’informations sur la durabilité qui soient utiles à la prise de décision émane de multiples parties prenantes, non seulement des investisseurs qui investissent dans tous les types d’actifs (pas seulement les actions de sociétés ouvertes), mais aussi de grands clients qui cherchent à mieux gérer leurs chaînes d’approvisionnement, leurs prêteurs, leurs assureurs, leurs consommateurs et leurs employés. Deuxièmement, l’examen plus approfondi des questions liées à la durabilité est ancré dans une évaluation plus holistique, à long terme et prospective des risques et des possibilités qui ont des conséquences directes sur les résultats opérationnels et financiers, le profil de risque, le capital réputationnel et les perspectives d’une entreprise.
En d’autres termes, l’examen minutieux des rapports sur la durabilité est intimement lié à la création de valeur pour l’entreprise. Cela vaut pour les entreprises de toutes formes et de toutes tailles, et il n’y a aucune raison pour que cela reste le privilège des seules grandes entreprises